Le secret maçonnique
Au risque de continuer à alimenter tous les fantasmes, au risque de se voir instrumentalisés et détournés de leurs objectifs, les Francs-Maçons préfèrent rester tapis dans l’ombre entre l'équerre et le compas.
C’est discrètement que les Francs-Maçons ont pris l’habitude de se retrouver deux fois par mois dans des locaux appelés symboliquement, des Temples maçonniques. Discrètement, car bien qu’ils se revendiquent enfants des Lumières, ils préfèrent rester tapis dans l’ombre à l’abri du monde profane dans des bâtiments sans nom, aux fenêtres closes. Souvent vêtus de couleurs sombres, ils sont facilement reconnaissables avec cette mallette qu'ils tiennent à la main pour y dissimuler un tablier maçonnique en simili cuir, une paire de gants blancs en coton, et un cordon de Maître en tissu moiré, le tout, « made in China ».
La Franc-maçonnerie est avant tout une société d’échange et de réflexion. Les Maçons doivent être sincères dans leur engagement, mais il leur est interdit d’exprimer en dehors du temple ce qu’il expriment en Loge. En communication, ce concept repris par la psychologie s’appelle la double contrainte ou l’injonction paradoxale. C'est-à-dire vouloir exprimer deux contraintes qui s’opposent. L’obligation de chacune contenant une interdiction de l’autre ; ce qui rend les moyens de communication pratiquement insolubles. « Comment cacher y compris à des proches, notre engagement et notre démarche, si nous les partageons déjà avec des Frères et des Sœurs avec lesquels nous n’avons pas nécessairement d’accointance particulière ? »
Depuis des siècles une multitude de mythes et de légendes entourent la Franc-maçonnerie. Ses membres ont juré de garder le silence et c’est précisément ce qui excite la curiosité des profanes, comme on les appelle, ceux qui ne sont pas initiés, qui sont étrangers à la religion ou à la sphère du sacré.
Le culte du secret a toujours alimenté les soupçons.
De nos jours, les élucubrations en tout genre fleurissent sur Internet ou les réseaux sociaux, avec toujours cette même notion du complot et un antimaçonnisme parfois virulent. On y prétend même que la Franc-maçonnerie serait responsable de la révolution française. Autant d’élucubrations sont aussi largement fomentées par une certaine presse ou des vidéos qui pullulent sur la toile et qui attirent la curiosité de gens avides d’histoires fantasmagoriques. On y parle même de messes noires, de sacrifices humains, d’influences que les loges maçonniques auraient sur le pouvoir politique qui justifieraient l’existence du secret maçonnique. Ainsi, le secret d'appartenance caractériserait l’existence d’une société secrète, mais c’est en réalité cette forme de repli sur soi qui enflamme l’imagination et qui suscite les théories du complot.
Si les Francs-Maçons ont effectivement eu une certaine influence sous la IIIe République, elle n’est plus que peau de chagrin aujourd’hui. D’autres prétendront encore que l'appartenance à la Franc-maçonnerie peut constituer un handicap sur le plan professionnel ; ce que nombre de Frères ou de Sœurs, ont tendance à croire.
Il n’y a rien à cacher !
En réalité, il n'existe que deux secrets maçonniques : le premier consiste à interdire à un Franc-Maçon de dévoiler l'identité d'un autre Franc-Maçon ; chaque Maçon étant libre de se dévoiler en tant que tel en toute liberté. Le second tient dans la manière intime et personnelle dont chacun vit sa démarche initiatique.
"Il n'y a rien à cacher", insistait Daniel KELLER, ancien Grand Maître du Grand Orient de France : « la Franc-maçonnerie avait été créée à une époque où la société n’était pas démocratique et qu’elle s’était alors vue obligée d’être secrète et discrète ; que cette culture du secret a perduré et que l’idée de solidarité a été densifiée par le secret d’appartenance. Mais les temps ont changé. Nous vivons aujourd’hui dans un pays qui défend ses valeurs lorsque notre démocratie est mise en danger. Et l’idée de solidarité ne s’exerce plus dans le secret »
Depuis quelques temps, certaines obédiences multiplient les efforts pour aller vers le public, à la télévision, dans la presse ou lors de conférences. Mais cette volonté d’ouverture semble être ignorée des responsables politiques qui d’ailleurs, évitent d’en parler. Pour le profane, les loges maçonniques seraient aussi un lieu idéal pour les affairistes qui à l’abri des regards, pourraient y mener leurs petites affaires : Langage codé, réunion à bureau fermé, mots de passe, signe de reconnaissance à l’usage exclusif des initiés. Différentes affaires judiciaires ont fait la Une dans la presse, tant en France, qu’en Italie ou en Belgique. L’affairisme existe partout, dans tous les milieux et à tous les niveaux. Il se présente aussi sous un autre vocable : le copinage. Dans les organisations syndicales, les usines, les bureaux, l’administration, parmi les anciens de l’ENA… on fait rentrer son cousin, sa sœur, son copain, et quoi de plus normal si on peut aider ses proches ou ses relations. Si dans le monde profane, on reconnait volontiers que le copinage existe, on affirme qu’il s’exerce à visage découvert, alors que les Francs-Maçons utiliseraient secrètement leur appartenance pour aider des Frères ou des Sœurs.
Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment d’exemple d’affairisme en Franc-maçonnerie, à l’exception de certaines Fraternelles qui regrouperaient encore des Francs-maçons de même profession, députés, sénateurs, parlementaires européens ou du CESE (Conseil Économique, Social et Environnemental). Ce qui pourrait ressembler à ces Fraternelles, existerait bel et bien dans tous les corps de métier : le bâtiment, la poste, les chemins de fer, l'éducation, la police, la médecine, à la Défense, au Barreau, dans les partis politiques, parmi les fonctionnaires, et la magistrature même si on estime que le fait de prêter serment en Franc-maçonnerie peut provoquer des conflits de loyauté. Reste qu’en politique, les affaires litigieuses qui n’impliquent pas de Maçons sont encore plus scandaleuses, car elles concernent des personnes élues par le peuple ou ses représentants, a priori dignes de confiance et incorruptibles.
Si les Francs-Maçons se disent humanistes avant tout, on constate que les différentes obédiences sont souvent classées en fonction des opinions politiques de leurs membres. A droite, à gauche, au centre, on y trouve de toutes les « confessions » : d’ancien trotskistes, des ultra nationalistes qui se cachent, d’autres extrémistes de droite ou de gauche ; à noter qu’adhérer à un parti dit, d’extrême droite, serait strictement interdit.
Être de droite ou de gauche, tout cela ne devrait rien vouloir dire en Franc-maçonnerie. Il n’en reste pas moins que de nombreux Maçons manifestent subrepticement leur appartenance à l’un ou l’autre idéal politique, parfois en participants à des manifestations diverses. D’un autre côté, certaines obédiences qui prônent l’amour universel, sont considérées comme étant sexistes car elles excluraient une partie de l’humanité ; la séparation des hommes et des femmes étant considérée comme une structure rétrograde à l’image du judaïsme orthodoxe et de l’Islam. C’est ce qui aurait soit disant obligé les Sœurs à féminiser leur vocabulaire maçonnique : Maçonnes, Compagnonnes, Maîtresses, etc. Et puis, venus principalement des USA, nous aurons aussi droit à la Cancel Culture (culture de l’effacement), au « Wokisme » (« réveil des consciences »), au « racialisme » issu de l'idéologie gauchiste, sans oublier les autres idioties culpabilisatrices et inclusives qui essayent de dominer par la démagogie.
Si les Maçons proclament la liberté de conscience, la liberté de parole reste bien souvent encadrée. Certaines loges s’interdisant tout travail sur les sujets de société, les problèmes de la cité ou de l’intégration deviennent inabordables ; c'est alors le règne du politiquement correct :"Nous n’avons pas les mêmes points de vue, ou opinions, et cela doit se respecter. Mais alors, quel message cohérent transmettre à l’extérieur du Temple si parler de politique est interdit en Loge, comment prendre position sur les événements qui font l’actualité - S’il n’y a rien à cacher, pourquoi les Francs-maçons doivent-ils se taire sur ce qui se passe dans leurs loges ?".
Le véritable secret de la Franc-maçonnerie, c’est qu’il n’y en a pas. Au-delà du secret d’appartenance, ce ne sont que des secrets de polichinelles. Il suffit de consulter l’Internet pour être parfaitement au courant de tout, dans les moindres détails, photos ou vidéos d’initiation à l’appui.
L’église a toujours condamné la Franc-maçonnerie qui a aussi été une des cibles favorites du nazisme sur le thème fantasmagorique du complot maçonnique. Mais de nos jours, ces persécutions n’ont plus de raison d’exister. Bien que maintenant, c'est à l’Islam radical, de nous bannir, comme le précise la charte du Hamas dans son article 28 qui considère que : « le but des sociétés secrètes, comme les Francs-Maçons, est de détruire les valeurs et les consciences de l'Islam pour l'annihiler ».
Si on veut faire cesser cet antimaçonnisme ridicule, il faut s’ouvrir encore plus. C’est ce que les Francs-Maçons appellent, « l’externalisation ». Ce sujet fait parfois débat dans les loges mais les obédiences maçonniques peinent à définir leurs propres positionnements à l’égard du monde profane et de l’intégrisme qui s’attaque à la liberté absolue de conscience et la laïcité. Les Francs-Maçons sont confrontés à une contradiction persistante entre la crainte de trop en dire, pas assez dire ou mal le dire et l’engagement qu’ils prennent de « répandre au dehors du Temple les vérités acquises » et les obligations qu’impose la discrétion.
Le Franc-Maçon ne doit pas rester tapi dans l’ombre. C’est hors du huis clos des ateliers, qu’il doit diffuser ses valeurs.
J’ai dit.