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Encore un peu de stéatose hépatique ?

Encore un peu de stéatose hépatique ?

   Le foie gras, spécialité culinaire française, est considéré comme un des symboles des repas festifs. Seuls les critères de rentabilité et donc, de productivité, motivent la fabrication du foie gras.  Si l'éthique reste malgré tout au centre du débat, la loi sur la protection et le bien-être des animaux présente des lacunes et offre au producteur, l'avantage de pouvoir être interprétée, à sa guise.

Cru, le foie malade est jauni par la stéatose et la dégénérescence graisseuse

  En terrine, en pâtés, grillés ou poêlés, servis sur toasts. En purée, en mousse, en galantine, en brioche, en sauce, déglacé au cognac ou au madère avec des petits raisins frais. Présenté sous vide, en bocal ou en conserve, le foie gras est un mets "royal" qui n'est rien d'autre qu'un foie malade, transformé par l'homme selon un processus dénommé "stéatose hépatique nutritionnelle". Une transformation pathologique artificielle qui impose à l'animal une intoxication douloureuse et irréversible, et qui n'a finalement pour seul objectif que la rentabilité économique des producteurs. Que cette production soit artisanale ou industrielle, l'objectif reste le même : augmenter le volume du foie par des méthodes de gavage forcé.

  Dans l'antiquité, les Romains gavaient les oies avec des figues pour obtenir un foie triplé ou quadruplé en volume. Le gavage est donc une activité ancestrale mais ce qui a changé aujourd'hui, ce sont les méthodes de production. Et pour satisfaire la rentabilité économique de leurs entreprises, les producteurs utilisent des moyens plus sophistiqués. La production européenne est très majoritaire au plan mondial. La France reste le principal pays de production de foie gras avec 19 190 tonnes en moyenne, suivie de la Bulgarie avec 2 800 T et de la Hongrie avec près de 2 500 T. Affectée par les crises sanitaires à répétition depuis 2015 (grippe aviaire) et la montée des critiques dénonçant le gavage industriel, la filière du foie gras et sa consommation seraient en déclin depuis 2010. La part de ceux qui refusent d'en acheter pour des raisons éthiques a doublé depuis 2009, mais ces derniers étaient toujours minoritaires en 2018 (40 %). Si la France consomme toujours autant de foie gras, c'est en partie grâce à la grande distribution qui a grandement participé à la popularisation de ce produit festif.

+ 1000 CANARDS A L'HEURE.

Élevés en batterie, les canards sont gavés de force deux fois par jour.

  Le foie gras doit provenir exclusivement d'oie ou de canard gavé(e) de façon à produire l'hypertrophie cellulaire graisseuse du foie. Le gavage forcé s'effectue en trois étapes. L'élevage et le pré-gavage des canetons de douze à quatorze semaines, consistent à préparer le foie de l'animal à supporter la lipogenèse (élaboration physiologique des graisses) qu'on lui imposera et à modifier son comportement alimentaire pour développer la capacité de dilatation du jabot. Vient ensuite le gavage, proprement dit. Ce dernier durera quatorze jours pour les canards et vingt et un jours pour les oies. On utilisera des équipements divers pour nourrir de force quatre cents à six-cents canards à l'heure. En moyenne, six-cents grammes d'aliments composés de matière sèche comme le maïs, seront déversés, chaque jour et en deux fois, dans l'œsophage de ces palmipèdes dont le poids normal du foie est environ de cinquante grammes. Installés sur des caillebotis, en épinette (casiers comprenant six à sept canards) ou dans des cages individuelles, l'administration forcée des aliments s'effectue au moyen d'un embout métallique d'une longueur de 28 à 32 cm que l'on enfonce dans l'œsophage jusqu'au jabot.

  L'augmentation artificielle du foie atteindra dix fois sa taille normale. Au terme de son gavage, l'animal est incapable de fournir le moindre effort. Il se couche à bout de force en subissant des souffrances incontestables. Il sera abattu avant que les conséquences des phénomènes dégénératifs inévitables ne nuisent à la qualité du produit. Les souffrances de l'animal sont causées par l'instrument de gavage, les aliments trop chauds, le foie dilaté qui exerce des pressions sur l'abdomen et les poumons et qui entraînent l'asphyxie. Mais la douleur provoquée aux palmipèdes ne se limite pas au gavage forcé. Les conditions de détention peuvent également provoquer des lésions du cou, de la poitrine ou des ailes. Le stress physiologique entraîne une accélération du rythme cardiaque, particulièrement au moment ou l'animal est saisi par le cou pour subir le gavage, et ce stress permanent, entraîne aussi et progressivement, des comportements pathologiques stéréotypés : l'animal tourne en rond dans sa cage ou balance la tête de façon ininterrompue. "Le gavage fait subir une souffrance physiologique et comportementale qui réduit de manière dramatique le bien-être des oiseaux", précisait le docteur René Zayan, professeur d'éthologie et psychologie comparative à l'Université Catholique de Louvain en Belgique (UCL).

LE FOIE GRAS N'EST PAS UNE DENRÉE INDISPENSABLE.

  Selon la définition de l'Institut Technique de l'Aviculture, le gavage consiste à faire consommer quotidiennement aux palmipèdes une quantité importante d'un aliment très énergétique mais déséquilibré par ailleurs qui conduit à un engraissement intensif et à la formation de foie gras. "La production de foie gras n'est pas une denrée indispensable à la survie de l'espèce humaine. Plus que toute autre production, elle soulève de nombreuses réserves quant au bien être des oiseaux gavés de force. Si les conventions européennes sur la protection des animaux dans les élevages doivent s'appliquer, c'est bien un des premiers secteurs où l'éthique devrait prévaloir sur l'approche économique", avait dit le Dr. Yvan Beck, dont l'étude approfondie et particulièrement objective sur le gavage des palmipèdes et la production de foie gras mettait en cause un choix de société. La plupart des producteurs avancent une série d'arguments prétendant entre autres que le gavage correspond aux manifestations naturelles de l'oiseau qui se nourri très fort avant la migration, se constituant ainsi une plus grande réserve de nourriture. Les scientifiques spécialisés en la matière, précisent que le gavage naturel des différentes espèces ne dépasse pas, en moyenne, deux fois le volume de leur foie. L'oiseau arrête de s'alimenter pour que ces réserves ne deviennent pas un handicap dans ses déplacements. Le stockage de ces aliments se fait dans les tissus périphériques de la poitrine à raison de cinquante pour-cent, environ. Le foie n'y participe en réalité que d'une façon mineure car son envahissement exagéré provoquerait une gène fonctionnelle, perturberait les fonctions respiratoires et métaboliques, et dès lors, limiterait les efforts physiques de l'animal. L'état clinique des oiseaux gavés de force atteste d'ailleurs leur incapacité à réaliser le moindre effort.

L'ABOLITION DU GAVAGE

  Le jeudi 10 juin 2021, le Parlement Européen a voté un texte demandant la suppression progressive de l’élevage en cage des animaux d'ici à 2027. Les producteurs ont encore de belles années en perspective. Il est vrai qu'en France, les décisions mettent toujours beaucoup de temps à se manifester. Les seuls pays de l’Union européenne qui produisent encore du foie gras sont : la France, la Hongrie, la Bulgarie, l’Espagne et une partie de la Belgique. Dans les autres pays de l’Union Européenne, le gavage des palmipèdes et la production de foie gras sont déjà interdits.

  Une solution proposée par le professeur Paul-Pierre Pastoret, professeur d'immunologie et de vaccinologie à l'université de Liège (Belgique), consisterait à produire son propre foie gras par "auto-gavage" en élevage artisanal semi-extensif. Cette technique permettrait d'obtenir des foies modérément hypertrophiés et stéatosés sans pour autant porter atteinte au bien-être de l'animal car celui-ci contrôlerait alors sa propre consommation. Mais le manque de rentabilité de ce type de production "autarcique" n'est probablement pas envisageable sur le plan économique… Maintenir des élevages fermiers et supprimer les chaînes de production en favorisant la production d'un foie gras artisanal (vers une production artisanale du foie gras), permettraient à l'animal de supporter une charge modérée qui ne dépasserait pas deux fois le volume de l'organe et qui correspondrait plus naturellement au gavage naturel exercé par les palmipèdes pour leurs migrations. Ce foie gras serait évidemment de bien meilleure qualité et devrait contenter les vrais gourmets. Libre à ces derniers d'y mettre le prix, pour satisfaire les petits caprices de leurs papilles gustatives.

J'ai dit.