Parole de chasseur...
Depuis que j’ai entendu mon kiné se vanter de son tableau de chasse auprès de ses clients, j’ai choisi de confier le soin de mes articulations à un autre masseur-kinésithérapeute…
« Savez-vous vraiment ce qu’est la chasse ? », questionnait d’emblée une campagne publicitaire de la Fédération Nationale des Chasseurs (FNC) en faisant défiler les images d’une nature paisible. « Tout ce qui est montré dans ce film est véridique (…) sans comédien mais avec de « vrais gens : des chasseurs, des agriculteurs, et même des pompiers », soutenait le président de la FNC qui s’était érigé en porte-parole du monde rural dans cette nouvelle campagne TV politico-médiatique. Pour Willy Schraen, « la chasse protège les cultures agricoles des dégâts de sangliers et limite les collisions entre les voitures et le grand gibier (…) il faut respecter nos traditions et nos pratiques ancestrales, avec la possibilité de chasser tout l'année, interdire les randonnées et le VTT les week-ends pour être enfin tranquille dans nos campagnes ».
On aura compris que les chasseurs sont loin d’être dévoués à la protection de la nature. Dans ce court métrage, on s'est bien gardé de parler des techniques interdites comme la chasse à la glu et au filet, la chasse à courre, ou le déterrage des blaireaux et des renardeaux que les gens incultes considèrent comme nuisibles. Chaque année, ce sont environ 22 millions d’animaux qui sont abattus, dont une moitié d’oiseaux sauvages. Un million et demi de faisans, perdrix et lièvres sont élevés pour être offerts aux tirs de vertueux chasseurs. Une majorité de ces animaux est issue, soit d’élevages, soit de populations sauvages qui ne nécessitent pas d’être régulées. En France tout particulièrement, les chasseurs aiment s’enorgueillir d’avoir occis autant de sangliers lors d’une même battue, sous le simple prétexte d’une éventuelle surpopulation de ce cochon sauvage et des nuisances qu’il pourrait causer. Prétendre que la chasse contribue à une juste répartition des espèces, est une hérésie. Le recensement des animaux sauvages pour essayer de limiter l’augmentation d’une certaine population sous le prétexte d’une utilité démographique, est pratiquement impossible à réaliser.
La chasse s’est transformée en tradition pour donner une certaine légitimité aux usages, aux coutumes et aux opinions inventées tout au long de l’histoire. Mais ce que les chasseurs considèrent comme une tradition, une philosophie, ou un mode de vie, est devenu un loisir dont les animaux sauvages ou d'élevage sont les victimes. Elle a tendance à perturber l'équilibre naturel des écosystèmes en favorisant l'extinction d'espèces animales. Le « quota » que les chasseurs de sangliers aiment clamer à tue tête, ne consiste pas à tuer légalement sous le simple prétexte d’une tradition.
Tuer pour se nourrir répondrait aux ordres de notre cerveau reptilien qui ne génèrerait que des comportements de base : manger, boire, se reproduire ; un cerveau qui serait d'ailleurs imperméable à la logique, tout comme abattre un animal pour le plaisir. Il est néanmoins indispensable à la survie, ce cerveau, qui réagit de façon très stéréotypée : les faisans, lapins de garenne, sangliers, biches, c’est pour manger. Le canard, c’est du foie gras. Tout comme face au danger, il faut fuir !
Quand à celles et ceux qui souhaitent profiter librement des paysages de campagne, il leur faudra redoubler de prudence pour ne pas se retrouver dans la ligne de mire de quelques chasseurs à l’affut. D’ailleurs, des panneaux de signalisation doivent obligatoirement être apposés sur tous les axes de circulation jouxtant le terrain sur lequel la chasse se déroule. Pour ces promeneurs du dimanche, les week-ends sont souvent synonymes de confinement forcé durant toute la saison de chasse, soit environ cinq mois par an !
Depuis 2015 le code civil reconnait l’animal comme un être vivant doué de sensibilité, il n’en reste pas moins que la France est très en retard sur ces sujets. La loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale n'est toujours pas appliquée dans son entièreté - Les refuges regorgent d’abandons volontaires, surtout en période de vacances – Des cirques s’installent impunément sur des terrains privés sans autorisation pour exhiber des animaux dans des conditions sanitaires souvent déplorables - Les mutilations de bovins, équidés, chiens et chats témoignent aussi à quel point certains individus sont capables de sauvageries sans nom - La corrida attire toujours bon nombre de spectateurs avides de spectacles sanguinaires - Les conditions d’abattage pour des questions religieuses, rappellent une forme de barbarisme qui se perpétue avec l’assentiment des autorités. Si pour les juifs et les musulmans, il s'agit d'invoquer Dieu avant de tuer l'animal pour le manger, certains pays plus respectueux du mieux-être animal et plus réceptifs à la sensibilité et à la douleur, ont osé interdire cette pratique religieuse notamment dans six provinces autrichiennes, au Danemark, en Islande, au Liechtenstein, en Norvège, en Pologne, en Suède en Slovénie et en Suisse.
Être pourvu de l’autorisation de manier une arme, procurerait une certaine assurance de soi chez bon nombre de chasseurs du dimanche. Avec l’accoutrement "Tweed chasse", on privilégie l'élégance à l’anglaise, les vêtements légers, extensibles et silencieux, de couleur neutre comme le marron, beige ou vert pour mieux se fondre dans le paysage et ne pas se faire voir par le gibier. On peut aussi opter pour de l’orange fluo que la vision animale ne distingue pas bien. Une paire de bottes fera l’affaire sans négliger les gants, les gilets de protection et autres sifflets, boussoles, cartouchières, genouillères et accessoires pour chien. On part en guerre contre des lapins, des faisans et parfois des biches ou des sangliers.
Le « must » pour les chasseurs, c’est d’avoir des cages aménagées pour chiens de chasse dans son 4x4 ou son Pick up ; de quoi montrer qu’on a les moyens. Certains irons même jusqu’à s’endetter pour changer de voiture, alors que d’autres finiront par se lasser des coûts souvent élevés d’un caprice qui parfois entraine des conflits familiaux. Être chasseur est devenu un genre, une mode, voire, un hobby qui plaît à une population masculine vieillissante, comme un must social. Comme on se paierait de nouvelles Nike ou autres baskets tendance, le chasseur s’offrira volontiers un fusil robuste et fiable destinée au tir du petit, moyen ou gros gibier que l’on se plaira d’exhiber devant les copains, jusqu’au couteau de chasse qui servira à découper l’animal avant de le coucher sur les braises.
Quitte à causer quelques conflits de voisinage, certains chasseurs passionnés, transformeront volontiers leur parcelle de jardin en chenil avec les races de chien de création récente dont les qualités indispensables comme le flair, l’endurance, la taille, ou l’aboiement, devront être garantis. À défaut, on s’en débarrassera volontiers en l’abandonnant sur une route loin du domicile et dépourvu de collier pour qu’on ne puisse retrouver son propriétaire. La plupart de ces chiens ne sont d’ailleurs pas tatoués afin d'éviter toute traçabilité. On déplorera aussi de voir trop souvent des chiens qui après sept mois de chenil sans sorties, sont dans un état physique déplorable.
En France, la chasse est réglementée, codifiée par des articles de loi depuis des siècles. On parlait déjà du droit de chasse sous Clovis, au 6ème siècle. L’examen du permis de chasser peut se passer dès l’âge de 15 ans. Après avoir acquis les notions de base élémentaires dans l’art d’abattre le gibier, on apprendra à porter son arme sans bretelle, avec canons basculants sur l’épaule ou sur l'avant du bras ; ce qui sera du plus bel effet dans une collection d’images conservées jalousement dans l’album virtuel du téléphone portable. Les connaissances requises sont centrées sur la sécurité et la maîtrise de l’arme. Contrairement aux Allemands et aux Britanniques, les Français n’ont pas su s’adapter à la très forte évolution culturelle en cours. En Allemagne, les chasseurs ne décrochent leur permis qu’après plusieurs années de préparation théorique dont la zoobiologie, la protection de la faune, la maîtrise des chiens, l’entraînement au tir, et l’aptitude physique.
Le président Emmanuel Macron réduira de moitié le prix du permis de chasse national (de 400 à 200 euros), pour relancer une pratique vieillissante. Il a rouvert les chasses présidentielles, autorisé les silencieux sur les fusils. « Il a fait un cadeau de 42 millions d’euros au monde de la chasse pour s’offrir ce vernis ruraliste, sans requérir des chasseurs le moindre effort de changement », souligne la fédération France Nature Environnement (FNE). En décembre 2017, à Chambord (Loir-et-Cher), Emmanuel Macron promettait : « Je serai le président qui développera la chasse, vous pourrez toujours compter sur moi. »
Depuis 2000, 3.420 accidents ont été répertoriés en France dont 95 pour la saison 2021-2022. Il y a eu 43 blessés légers, 44 blessés graves et 8 morts. Ce sont généralement les chasseurs postés au sol qui en sont le plus souvent responsables. Les chasses au petit gibier, dont les tirs se font généralement à hauteur d’homme, représentent la plus grande part des accidents (77%). Le non-respect de l’angle de tir lors des chasses au grand gibier est la principale cause des accidents avec 37%. Viennent alors ce que l’on appelle les auto-accidents dus à de mauvaises manipulations (20%), ou les tirs en direction des routes ou habitations (17%) et le tir sans avoir identifié l’animal qui représente 10% des accidents.
Tradition oblige…