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Les origines de la laïcité.

Les origines de la laïcité.
Roger Williams, précurseur de la laïcité

 La Laïcité : voilà un sujet qui ne cesse de faire polémique ; du moins, en France. Sa définition est pourtant simple à comprendre mais pas toujours évidente à mettre en application. Quant à nos pouvoirs politiques, tant à gauche qu’à droite, ils se reprochent mutuellement d’en avoir dénaturé le sens ou sa réalité.

 Pour en venir à ses origines, on doit remonter au temps de la crise religieuse du XVIe siècle qui a été un évènement historique majeur, car elle a suscité des conflits et des divisions dans toute l’Europe pour aboutir à la naissance d’une nouvelle religion : le protestantisme. Martin Luther et Jean Calvin sont les deux réformateurs les plus connus. Ils ont eu la volonté de transformer l’Église à fin de démontrer que le peuple pouvait avoir une autre religion que celle du roi, et en 1640, une théologie politique novatrice sera proposée par un pasteur protestant ; un certain Roger Williams.
Les pensées de ce pasteur auront profondément inspiré la philosophie contemporaine de neutralité de l'État en matière de liberté religieuse, et Roger Williams sera considéré comme étant le véritable précurseur de la laïcité.
Peu connu dans le monde francophone, son nom figurera sur le Mur des réformateurs à Genève qui a été construit en mémoire de ceux qui ont défendu la réforme de l’église protestante et la liberté de conscience.

 En octobre 1685, Louis XIV signera l'édit de Fontainebleau révoquant par la même occasion l'édit de Nantes qui avait interdit tout exercice de la religion protestante par lequel Henri IV avait octroyé une certaine liberté de culte aux protestants, en 1598. Les protestants français continuèrent malgré tout à subir des années de persécutions et de conversions forcées. Plus de 300 000 huguenots quittèrent la France pour rejoindre les Pays-Bas, la Prusse, l'Amérique et ses colonies comme la Nouvelle-Amsterdam (la future New York), Boston, Rhode Island, le Massachusetts, la Pennsylvanie ; toutes ces colonies dans lesquelles Roger Williams s’investira pour garantir une liberté de culte et où les protestants ne seraient pas persécutés pour leur engagement dans la pratique de leur religion.

 Né à Londres le 21 décembre 1603, Roger Williams reçoit sa formation théologique à Cambridge. Après avoir servi comme aumônier privé dans une famille puritaine, il décide de fuir la persécution royale de Charles 1er d'Angleterre qui était considéré comme étant un monarque absolu et un tyran. C’est en 1630 qu’il s’embarque pour la colonie du Massachusetts en Amérique du Nord où il compte poursuivre son désir de voir le christianisme s'affranchir de la corruption qui sévit au sein des Églises officielles. En prêchant pour une séparation d'avec l'Église anglicane, Roger Williams, fonde la séparation des affaires civiles et religieuses sur des principes théologiques.
Ses positions radicales en faveur de la neutralité de l’État dans les affaires religieuses, alertent le gouvernement colonial du Massachusetts. Il se voit alors entraîné dans de virulents conflits avec les pasteurs et les magistrats de la colonie. Faisant l'objet de poursuites judiciaires, il est obligé de prendre la fuite et trouve refuge au Nord-est des États-Unis d'Amérique, dans le Rhode Island, auprès d’une communauté amérindienne appelée les Narragansetts. Estimant que les terres américaines sont la propriété des peuples qui les habitent, il leur achète un territoire qu'il baptisera « Providence ». C'est ce qui l'amènera à fonder le futur État du Rhode Island.
Dans la charte royale qui a été rédigée pour constituer cette nouvelle colonie, Roger Williams y fait préciser que « personne ne devra y être molesté, puni, inquiété ou poursuivi en justice pour avoir manifesté une quelconque différence d'opinion en matière de religion ».
Cette charte qu'il a fait rédiger pour constituer la nouvelle colonie, est d'une modernité exceptionnelle pour l'époque. Car les idées que Roger Williams a défendues, inspireront plus tard les Pères fondateurs qui signeront la Constitution des États-Unis et qui les incarneront dans des institutions politiques. De nos jours, ce territoire est toujours appelé, «État de Rhode Island » et sa capitale a conservé le nom de "Providence" donné par Roger Williams.

 Pour imposer ses conceptions philosophiques, et faire face à ses différents adversaires fermement anticatholiques qui s'opposent à toute tolérance de liberté de culte,  Roger Williams fait publier un pamphlet qu'il intitule, « La doctrine sanguinaire de la persécution pour le motif de conscience » (The Bloudy Tenent of Persecution).

Il y prétend que la volonté d’établir l’unité religieuse par la force est à l’origine d’innombrables crimes, et que c’est elle qui engendre la persécution de ceux qui résistent au nom de leur conscience. Il y plaide aussi en faveur d'une séparation radicale de l’Église et de l’État qui seule, selon lui, peut garantir une véritable liberté de culte.

Roger Williams plaide aussi pour que les juifs, les musulmans et les catholiques, bénéficient d’une entière liberté religieuse «même ceux des plus païens, des juifs, des Turcs musulmans ou des antichrétiens», écrira-t-il. Bien qu'ardent chrétien, il considèrera encore que les autorités publiques devront reconnaître qu'elles ne sont «ni juges, ni gouverneurs, ni défenseurs de la condition et des cultes spirituels ou chrétiens». Il évoquera aussi ce qu'il appellera le «mur de séparation» entre l'Église et l'État ; une formule que l'on a, par la suite, attribuée à Thomas Jefferson, le troisième président américain qui était un déiste éclairé favorable à la laïcité. Cette notion de séparation de l’église et de l’état, aurait aussi été publiée dans le premier livre écrit en arabe en 1734 : La balance du temps.

 Puis, en 1775, il y eu la Guerre d'indépendance des États-Unis. Les colons des treize colonies britanniques d'Amérique du Nord se révoltèrent. La guerre contre les anglais tourna à l’avantage des troupes américaines dirigées par George Washington, avec l'aide du gouvernement de Louis XVI, de l’Espagne, des Pays-Bas, et des volontaires français menés par le marquis de La Fayette qui a joué un rôle décisif dans cette guerre d'indépendance des États-Unis. Le marquis de la Fayette aurait été affilié à la loge maçonnique « L’Union américaine » dont le Vénérable Maître était Georges Washington.

 L'indépendance des États-Unis fut proclamée par les 13 colonies le 4 juillet 1776. La Constitution des États-Unis aura lieu en 1787, lors de la convention de Philadelphie.
La Déclaration d'indépendance américaine et la Constitution, furent rédigées par les Pères fondateurs qui étaient en majorité des déistes attachés à la séparation de l'Église et de l'État, et qui ne pratiquaient pas de culte. Certains étaient aussi Francs-maçons.
Officiellement, la religion sera séparée de l’État par le premier amendement qui garantira la liberté de culte et la non-ingérence de l’État dans les religions.

 Vers la seconde moitié du XXe siècle, les communautés religieuses étrangères au protestantisme, intègreront à leur tour la "religion civile" qui placera le patrimoine religieux américain au centre de la vie publique de ce pays constitutionnellement laïque.
Comme le précisait le pasteur James Anderson qui fut appelé à rédiger collectivement les Constitutions (l'un des textes fondamentaux de la franc-maçonnerie moderne), la "religion civile" a avant tout pour fonction de légitimer la nation, et incarnerait parfaitement l’association de l’esprit de religion et de l’esprit de laïcité. En fait, le Dieu de la religion civile n'est jamais spécifié et ne répond à aucune confession. Il est plutôt un Dieu abstrait, afin de mieux accomplir sa fonction utilitaire à l'échelle de l'humanité.
C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles le traditionnel serment sur la bible des présidents américains n'est pas inscrit dans la Constitution et n’est pas obligatoire. C'est une coutume lancée par George Washington en 1789, qui en prêtant serment sur une bible maçonnique, a posé la 1ère pierre du Capitole en étant revêtu du tablier maçonnique brodé par Madame de La Fayette.

 L'idéal politique de Roger Williams, a bien été ratifié avec la création des États-Unis d'Amérique, et le principe de la liberté de culte et de la séparation des Églises et de l’État, a été intégré dans la Constitution américaine. C’est donc aux États-Unis que la notion de Laïcité aurait trouvé ses racines.

Il n'en reste pas moins que la religion occupe toujours l'univers mental du peuple américain, dont la particularité la plus déconcertante, pour nous européens, est la référence permanente à Dieu, même s’il se dit, abstrait. Difficile à imaginer lorsque l’on peut lire sur les billets de dollars américains les « fameux » « In god we trust » ou que l’on peut voir certaines plaques d’immatriculation de Cadillac et autres modèles de voiture, arborer fièrement un « J’ai parlé à Jésus ce matin ».
Pourtant, malgré cette forte intégration à l’américaine de la religion à la vie sociale, la notion de séparation des églises et de l’état et donc le principe de laïcité, est néanmoins respecté dans les institutions officielles.

 De nos jours, les bonnes résolutions prises par ce cher moine protestant qui rêvait de voir partout des états laïcs et des engagements de neutralité religieuses, sont bafouées tant aux États Unis qu’en Europe. Les uns pensent que la Laïcité n’est pas une valeur mais un principe, les autres pensent que c’est une valeur concurrente des valeurs religieuses. Bref, les conflits religieux s’enchaînent et se multiplient. Les débats sur la Laïcité confrontent les opinions des uns et des autres qui cherchent à la remettre en question, et neutralité et Laïcité, seront souvent confondus.
D’une manière générale, la France marque une forme d’indifférence à l’égard des cultes,  alors que l’État américain rassemble la population en créant un point commun qui est le fait de croire ; c’est la conséquence d’une laïcité tolérante.

 Roger William, doit se « retourner dans sa tombe » en observant tout cela, s’il le peut. Il n’en reste pas moins que la philosophie de ce pasteur protestant du XVIIe siècle, aura très profondément inspiré la philosophie contemporaine de neutralité de l'État en matière religieuse, tant aux États-Unis qu’en Europe.
Depuis la révolution française de 1789, d'importants changements intellectuels ont été guidés par les idéaux républicains et démocratiques de Roger Williams ; ce précurseur de la laïcité. Mais ces idéaux seraient de plus en plus menacés par un nouvel envahisseur empreint d’une idéologie islamique qui s'appuie sur le dogme d’un monothéisme absolu.

Le philosophe anglais John Locke, théoricien d'une science postcartésienne fondée sur l'empirisme, promoteur d'une philosophie politique reposant sur la notion de droit naturel, était en vérité le précurseur du libéralisme.
Ainsi, les principaux précurseurs du siècle des lumières dont la théorie politique fut prise pour modèle, auront hérité des principes philosophiques de Roger Williams : Montesquieu, avec ses pensées sur le «principe de séparation des pouvoirs», Rousseau, célèbre pour « ses travaux sur l'homme et la société » et Voltaire, dont le grand ennemi était la religion chrétienne et l’Église catholique, relanceront à travers l'Europe du XVIIIe siècle, la question de la liberté de conscience et de culte, qui a finalement abouti, en France, à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et à une loi dite de séparation des Églises et de l’État, du 9 décembre 1905.

J'ai dit.