Parole de Franc-maçon !

On m’avait prévenu avant de frapper à la porte du Temple : l’itinéraire d’un parcours initiatique doit s’inscrire dans la démarche d’une introspection profonde qui ne serait que le début d'une longue voie de perfectionnement et d'accomplissement de ma propre personnalité !

La cérémonie d’initiation à laquelle j’avais été invité de participer, allait donc me faire prendre conscience que ma vie de profane allait devenir celle d’un franc-maçon.

Pourtant, les vingt-cinq années durant lesquelles j’ai fréquenté assidument ceux que j’ai toujours appelé « mes frères », ne m’auront toujours pas aidé à trouver ce que je recherchais. Il aura été long, ce fameux parcours initiatique qui en fin de compte, n’aura pas été si différent de celui de ma vie de profane où chacun peut aussi avoir la liberté de s’épanouir, de s’enrichir de la pensée des autres, et de trouver en lui-même sa propre vérité.

J’aurai donc volontairement consacré une moyenne de 450 euros par an pour avoir eu le droit de m’enrichir deux fois par mois de préceptes maçonniques. Au total, j’aurais dépensé 11 250 euros sans compter les agapes auxquelles tout Franc-maçon se doit d’assister et les oboles à remettre au frère Hospitalier pour des œuvres philanthropiques.

11 250 euros en 25 années, ce n’est pas énorme, certes. Mais c’est sans compter les frais de déplacement aller-retour pour rejoindre la loge tous les 15 jours et visiter d’autres ateliers pour écouter les éternels refrains d’autres frères ou d’autres sœurs. En moyenne, je compte 60 km aller retour de chez moi au Temple, soit 120 km par mois puisque j’y vais tous les 15 jours !

On est Franc-maçon par ses actes et non par un titre conféré, parait-il. Quand on est apprenti, on entre dans un monde nouveau dont il faut s’imprégner des codes en étant confronté à un grand nombre de symboles mystérieux dont il faut essayer de percer la signification à l’aide de sa raison…!

Je dois aussi me tenir droit, à l’ordre, marcher avec les pieds en équerre, monter le Temple, servir à table, tenir le bar pour faire des « tomates ou des perroquets », servir du Pastis, du Whisky ou du vin aux frangins, de l’eau fraiche aux frangines qui préfèrent garder la tête froide. Finalement, c’est bon pour la santé, tout çà.

Le passage au grade de Compagnon ne comporte pas d’engagement particulier, si ce n’est qu’il faut « voyager » pour rencontrer d’autres maçons et faire de nouvelles connaissances. Quant au passage au grade de Maître, il concernera surtout un engagement de comportement vis-à-vis de soi, et vis à vis des autres membres de la loge : "Je m'engage à être valeur d'exemple pour les Compagnons et les Apprentis et à les instruire"

La plupart des Tenues en Loge se borneront à réaliser des travaux trop hétéroclites pour devenir une espèce de « club à l’anglaise ». Les frères et les sœurs manifesteront à chaque fois le plaisir de se retrouver comme s’ils ne s’étaient pas vus depuis longtemps. Ils se congratuleront alors chaleureusement, avec trois baisers sur les joues et trois petites tapes sur l’épaule.

Le travail en Loge doit servir à s’enrichir philosophiquement, mais aussi à travailler sur des sujets qui engagent l’avenir de la société. Ce travail, soumis à la réflexion de l’égrégore dans un esprit de fraternité, doit en principe favoriser l'épanouissement de chacun. C’est ainsi que les maçons proposent ce qu’ils appellent des Planches ; terme générique qui recouvre différents exposés sur divers sujets sociétaux, philosophiques ou symboliques. La Planche se veut être un travail d’introspection et d’intériorisation des symboles du rite pratiqué. Elle appelle souvent à ouvrir des débats sur des sujets déjà maintes fois évoqués, comme « Le silence de l’apprenti », « La symbolique du nombre trois », « Le pavé mosaïque », « Le fil à plomb », etc.

Chaque Franc-maçon doit au moins avoir fait une planche symbolique et une planche sociétale avant de prétendre être initié. La planche sociétale est sans doute la plus difficile à faire, parce qu’il ne faut pas tomber dans l’évocation passionnée et partisane de l’air du temps et des débats politiques en cours. Proposer à l’égrégore quelques sujets sociétaux dans le but de faire sortir les frères et les sœurs d’une confortable léthargie en abordant les véritables enjeux d’une société en pleine mutation, est donc une tâche relativement complexe.

La moyenne d’âge des Frères et des Sœurs qui comblent les loges, ressemble étrangement aux réunions réservées au Troisième âge parfois même au quatrième âge alors que les gérontologues parlent d'un cinquième âge, passé les 85 ans. La franc-maçonnerie n’intéresserait plus vraiment les jeunes et si quelques uns d’entre eux franchissaient quand même le pas de l’initiation, ce serait souvent pour suivre les traces de Papa ou de Papy et surtout pour s’inscrire dans la société.

Certains se demandent encore à quoi sert la Franc-maçonnerie alors qu’une majorité d’anciens ne s’en soucie plus. Elle proposerait toujours des espaces de réflexion à celles et ceux qui cherchent à donner un sens à leur vie, aussi bien dans leur cadre familial que professionnel ou relationnel, mais elle ne sert pratiquement à rien. C’est une institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive qui a pour objet la recherche de la vérité, l'étude de la morale et la pratique de la solidarité. C’est déjà pas mal, quand même, et pour essayer de rendre le monde meilleur, elle propose en plus de donner gratuitement à chacun les outils philosophiques nécessaires pour porter ses valeurs, ses principes et son histoire à l’extérieur du temple, dans le monde profane…

Malheureusement, la franc-maçonnerie aujourd’hui, ne vit que pour elle-même. Son parcours initiatique est parsemé d’embuches et ressemble fort à celui que l’on rencontre dans sa vie de profane, tant sur le plan humain que professionnel à raison de quelques minutes deux fois par mois. J’ai eu l’étrange sentiment d’avoir appartenu à une espèce de club très privé qui réuni des amis que l’on appelle « frères » pour évoquer le mot « fraternité » qui apparaît très éphémère, le temps d’un moment passé ensemble en salle humide où l’on parle de la pluie et du beau temps et où la notion de « grade » s’imposait chez certains, comme s’il était à l’image d’une certaine hiérarchie.

Lors d’un rituel d’initiation, je n’ai pu m’empêcher de remarquer que seuls les impétrants semblaient être concentrés, pour autant qu’on puisse l’être sous le bandeau. Même les Surveillants et le Vénérable se perdaient dans la lecture du texte d’un livre pourtant grand ouvert devant leur nez. J’ai aussi eu le plaisir d’observer attentivement le regard des frères et sœurs visiteurs qui venaient donc nous voir pour « changer d’air » ou simplement « voyager », comme on dit, faire de nouvelles connaissances, en attendant que le Maître des cérémonies martèle trois fois le sol avec sa canne, comme au théâtre, pour annoncer qu’il est temps d’arrêter de picoler, de se gaver de zakouskis, et de rentrer en loge, en silence. Le Vénérable Maître invitera aussitôt tout ce petit monde à prendre place pour procéder à l’ouverture rituelle des travaux. Le secrétaire se chargera de faire l’appel des frères et des sœurs pour noter celles et ceux qui ne sont pas venus assister à la tenue de ce soir. Ils sont presque tous là, car aujourd’hui, la tenue sera consacrée à la cérémonie d’initiation de deux gentils profanes un peu inquiets. Les frères et les sœurs installés confortablement sur les colonnes, ont déjà le sourire aux lèvres. Ce soir, ils vont pouvoir chahuter, faire du bruit en tapant du pied et en frottant la pointe des épées d’apparat sur le sol pour fêter la consécration d’un nouveau Frère, ou d’une nouvelle Sœur. Ils vont pouvoir observer ce qu’ils ont eux-mêmes vécu lors de leur propre initiation. Ils pourront surveiller l’un et l’autre candidat qui avec un bandeau sur les yeux est en train de se retenir de tomber de cette planche à bascule déposée tel un obstacle à franchir dans le parcours initiatique. Le frère qui s’était endormi au dernier rang, est à peine éveillé. Un sourire béat illumine son visage. Il est mécaniquement heureux de pouvoir cadencer les mouvements circulaires qu’il effectue sur le carrelage de sa loge avec la pointe de son épée ; heureux comme un enfant à qui l’on a autorisé de manifester sa joie en faisant le plus de bruit possible. Dans son regard, on ne devine pourtant aucune passion. Il se contente de sourire simplement, par routine, car c’est un vieux maçon qui a assisté à des quantités de tenues, qui a vu bon nombre de profanes défiler devant tout le monde en attendant d’être « initié, consacré ».

Quant aux jeunes apprentis qui ont maintenant le droit d’assister à cet événement, ils sont contents de participer à ce « bizutage » bon enfant pour retraités en mal d’action. Lorsque les surveillants auront pris la parole en lisant attentivement le rituel, le Vénérable, grâce à l’antisèche qu’il tiendra sur son épée, prononcera les quelques phrases qu’il aurait pourtant été faciles de retenir par cœur, pour que la mise en scène s’achève en congratulant le nouvel initié de trois baisers, sur les joues. C’est le moment de rejoindre les agapes qui attendent en salle humide. La cérémonie n’aura duré qu’une petite heure. C’est assez finalement, pour une initiation, que l’on n’oublie jamais, parait-il.

La tenue suivante qui aura lieu un autre jour, permettra à un frère de présenter la planche symbolique qu’il avait préparée avec conviction. Elle lui permettra d’exprimer son ressenti et de montrer ce qu’il a découvert et compris. Personne n’aura le droit de lui répondre, car on ne discute pas les planches symboliques, lui avait-on dit. Peu de planches sont d’un réel intérêt alors qu’elles devraient avoir pour objectif d’apporter une certaine réflexion sur les sujets proposés. Trop sont soit issues de copier-coller de planches publiées sur Internet, ou carrément imprégnées de convictions politiques, de gauche principalement ; être de droite étant généralement déconseillé dans la majorité des obédiences !

Au-delà des guerres de clochers auxquelles s’adonnent volontiers les mêmes Frères ou Sœurs, le délire atteint parfois un illusoire sens critique du pouvoir politique en place. Une nouvelle civilisation émerge petit à petit empreinte d’idéologies conquérantes, fière de ses coutumes même les plus dépravées. Mais attention...on ne peut prétendre être franc-maçon que si l’on a payé sa cotisation et que l’on est donc « en ordre » avec le trésor.

J’ai dit