Le cerveau reptilien de l’aficionado.
Le titre de cet article a été emprunté à un texte du philosophe Michel ONFRAY qui expliquait que l’admiration (ou le plaisir) que l’on pourrait éprouver en assistant à un spectacle de corrida, serait du aux pulsations que génère notre cerveau reptilien.
Les opinions divergentes que d’aucuns pourraient avoir sur la tauromachie, ne doivent pas nous confronter à cette notion, oh combien simpliste, « d’anti-corrida » ou de « pro-corrida ». Il ne faut pas pour autant faire acte de tolérance à l’égard de certaines traditions.
Venons-en donc à ce fameux cerveau reptilien. Qu’a-t-il à voir, comme le prétend Michel ONFRAY, avec le fait que les aficionados semblent éprouver un réel plaisir à assister à un spectacle de corrida - car il est évident que la corrida s’inscrit avant tout, en spectacle.
Toutes les zones de notre cerveau seraient interconnectées et organisées selon trois niveaux : un cerveau ancestral, qualifié de reptilien, gérerait les comportements de base (manger, boire, se reproduire, etc.). Il serait le siège de nos instincts et chercherait à concrétiser certaines de nos pulsions les plus violentes. Incapable d’innover, une même stimulation conservée depuis des générations produirait toujours le même effet. Le cerveau limbique qui entoure le cerveau reptilien, se laisserait facilement envahir par les émotions et serait cependant imperméable à la logique. Quant au cortex, ou cerveau supérieur, il nous distinguerait des autres mammifères, nous permettrait de réfléchir, d’apprendre, d’émettre des jugements, d’imaginer, de se projeter dans l'avenir. Il serait capable d’amortir les réflexes du reptilien, et n'est pas soumis à nos émotions générées par le limbique. Nos pulsions pourraient donc être contrôlées, modelées ou atténuées par le raisonnement.
Mais quelles relations les aires fonctionnelles diverses de notre cerveau pourraient avoir avec la corrida et d’applaudir des actes de violence ?
« La violence, c’est porter atteinte à l’intégrité physique ou psychologique de tout être vivant pour dominer, causer des dommages ou la mort. Elle implique des coups, des blessures, de la souffrance ou de la douleur ».
Être spectateur volontaire de la violence et en éprouver de l’admiration, serait, toujours selon Michel ONFRAY, provoqué par la stimulation du cerveau reptilien.
L’aficionado ne chercherait pas à faire usage de ses facultés de raisonnement ou de jugement ; il se laisserait au contraire emporter par l’euphorie d’une représentation dramatique.
De nombreux analystes scientifiques et psychiatres réputés, ont démontré que si l’homme peut être aussi réceptif à la violence, c’est parce qu’il répond à des instincts qui s’inscrivent dans l’inconscience qui aurait un effet cathartique dans la mesure où elle serait la représentation d'un conflit intérieur qui n'a pas trouvé d'autre mode d'extériorisation. Ainsi, cette transformation de l'émotion en pensée, permettrait au spectateur d’une représentation dramatique de se défouler et d’arriver à la banaliser ; au point de laisser apparaitre une certaine forme de sadisme voire même, de méchanceté.
CULTURE ET TRADITION
La tauromachie n’a pas l'apanage de la culture Française. Son autorisation sur le territoire remonte à peine au 19eme siècle et le Code pénal depuis le 02 décembre 2021 dispose que : « le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ». Mais les dispositions de cet article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée […] !
Aujourd'hui, de nombreuses traditions se sont éteintes, mais pour que le spectacle continue, l'homme a mis face à lui un combattant qu'il a élevé pour être vaincu. Pour donner une raison d'être à ces combats savamment orchestrés, il a transformé la corrida en tradition, sous le prétexte d'une complicité permanente avec la mort qui élèverait la tauromachie à la dimension d'un art. Un art que certains qualifient de tragédie théâtrale. Cette notion de tradition culturelle à laquelle le milieu de la tauromachie prétend s’attacher, est en vérité bien plus matérialiste. Les associations culturelles peuvent en effet bénéficier d’importantes subventions, d’avantages fiscaux et d’une diffusion médiatique qui s’adresse à un large public, dont des enfants.
En occident, les jeux du cirque, les bûchers, les ordalies, l’esclavage, l’obscurantisme religieux, la torture, étaient des traditions que l’on qualifie encore de culture. Il semble que la culture devrait plutôt faire preuve d’humanisme et d’humanité pour se soustraire au règne de la tradition : «Faire reculer la tradition a toujours été la marque des esprits libres et éclairés qui soumettent à l’examen de leur raison les faits et les gestes des traditions». La « mort spectacle », ne peut donc être offerte au titre d’une tradition.
Dans de nombreuses cultures, le taureau représentait la force, la vitalité et la fécondité. Il évoquait l’idée de puissance irrésistible et le terrible Minotaure de la mythologie grecque dont la semence abondante fertiliserait la terre. La présence des taureaux célestes dans les rites antiques évoquait la libération des forces sexuelles et le renouveau de la nature. Dans la symbolique analytique de Jung, le sacrifice du taureau représentait une vue de l'esprit qui permettrait à l'homme de triompher de ses passions animales primitives. Ainsi, certains invoqueront encore le culte de Mithra, d'origine iranienne, dont le sacrifice du taureau garantirait l'immortalité.
LA SOUFFRANCE PROPOSÉE EN SPECTACLE
Pour les aficionados, la corrida serait un art noble, opposant l’Homme à la bête. Tout ne serait que beauté dans ce face à face de 20 minutes au cours duquel le taureau subit toutes sortes de blessures jusqu’à ce qu’il succombe. Cette mise en scène d’un combat, est présentée comme une manifestation artistique derrière laquelle se cache une autre réalité : l’art de faire agoniser dans son sang et la douleur un être sensible qui n’a pas demandé à combattre mais que l’on a préalablement affaibli pour être vaincu. La souffrance et la mort, seront alors proposés en spectacle.
Les aficionados feront souvent référence à l’art en citant Goya ou Picasso. Mais si l’on se doit d’admirer ces artistes et leurs œuvres, on remarquera que celles qui évoquent la corrida, ne sont qu’une représentation artistique de l’homme face à la mort. Il semble que lorsque l’on parle d’art, on doit parler « d’œuvre ». Dans la corrida, on ne vois pas d'œuvre, même au sens le plus philosophique du terme. Faire violence n'est pas un art, d’autant plus s'il y a souffrance, blessures ou mort. Cet art de faire souffrir et de donner la mort, on ne le trouve malheureusement que dans des actes aussi monstrueux que les tortures. Chez l’animal, cette notion de « faire souffrir », n’existe pas !
Il n’y a pas d’art dans la “mise à mort sacrificielle”. Il n’y a pas d’art à imposer méthodiquement la souffrance jusqu’à ce que mort s’en suive.
La barbarie et la violence, c’est asservir le faible en vertu de sa supériorité intellectuelle ou physique. Victor Hugo disait encore que : « Torturer un taureau pour le plaisir, pour l'amusement, c'est beaucoup plus que de torturer un animal, c'est torturer une conscience ». Et André Malraux, héros de la Résistance, dira que la corrida est « Le mélange d'un spectacle de cirque et d'une communion de sang». Montherlant, dans Les Bestiaires (1926) célèbre la corrida comme une cérémonie sacrificielle qu’il va qualifier de « muflerie et sauvagerie ».
LA MORT EN TROIS ACTES
Le taureau de combat est une création artificielle de l’Homme. L'objectif de l'éleveur de taureaux destinés aux corridas, est de le rendre dangereux. En développant son agressivité, on en fait un combattant à qui on n'apprendra pas une seule fois d'agresser l'homme ; il ne s'attendra pas à en faire soudainement un ennemi. On remarquera d’ailleurs qu’il ne s’attaque jamais à l’homme proprement dit. Des tests réunissant plusieurs personnes dans une arène ont pu en témoigner : 40 étudiants mexicains de l’Institut de technologie et d’études supérieures de Monterrey, ont fait l’expérience d’entrer dans l’arène face à un jeune taureau fougueux et préalablement excité. Personne n’a été agressé ; le ruminant n’aspirait qu’à une seule chose : trouver la sortie et s’échapper. Il n’est en effet pas rare qu’un taureau cherche à fuir l’arène, effrayé d’y être enfermé.
Pour ces combats, il faut d’abord affaiblir l’animal afin de limiter les risques du matador. La grande majorité d’entre eux exigent d’ailleurs d’examiner le taureau avant de le combattre. S'ils le jugent trop dangereux, ils en choisiront volontiers un autre. Christina Sanchez, qui fut un temps la coqueluche des arènes, avait un jour refusé de toréer car les cornes du taureau qu'elle devait combattre n'étaient pas assez raccourcies ; raccourcir les cornes fait en effet perdre au taureau la notion des distances. D’autres « techniques sont parfois utilisées pour le rendre agressif ou l’affaiblir : enduire ses yeux de vaseline pour lui brouiller la vue, badigeonner ses pattes de térébenthine pour que les brûlures occasionnées le force à avoir une démarche plus nerveuse.
Dès le début du spectacle, le picador à cheval, est chargé de mutiler les ligaments et les muscles releveurs et extenseurs du cou pour empêcher que le taureau puisse relever la tête. Ainsi, il donnera l'impression de vouloir charger et l'effet de bravoure du toréador en sera d’autant plus mis en valeur. Les chevaux sont rarement épargnés dans cette parade sanguinaire. On aura pris soin de leur bander les yeux et de leur donner de la morphine pour qu’ils supportent la douleur infligée par les coups de cornes. Il est malheureusement fréquent qu’ils soient affreusement éventrés pour être finalement trainés, agonisants, en dehors de l’arène.
Viennent ensuite les banderilleros. Trois banderilles appelées « de castigo » («châtiment» en espagnol) sont plantées entre les vertèbres de l'animal pour que la perte abondante de sang l’affaiblisse encore plus. Le personnage central de la corrida entrera ensuite dans l’arène sous les acclamations du public : le matador (de l'espagnol matar : tuer). Il aura le « glorieux honneur » du troisième acte (tercio), dans la préparation de l'estocade pour achever un animal à moitié paralysé par la souffrance. Pour maintenir le public en haleine, il s’appliquera à exécuter la « faena » ; une série de passes avec la muleta (le leurre du tissu rouge). C’est le seul moment où aucune douleur n’est réellement infligée au taureau, mais qui continuera de l’affaiblir en lui imposant une grande dépense physique. Les figures et les passes donneront un effet de dextérité mais serviront surtout à désorienter le taureau jusqu'à ce qu'il démontre des signes de fatigue. Lorsque le matador s’agenouille devant lui pour donner au public une impression de bravoure, le taureau est déjà à bout de souffle, incapable de réagir car ses muscles meurtris l’en empêchent. C’est à cette attitude asservissante du matador que le public applaudira, berné par l’apparence d’un prétendu courage qui n’est en vérité que de la lâcheté.
Puis il reviendra à ce matador l'honneur de la mise à mort d'un animal déjà vaincu. S’il est adroit, un seul coup d'épée longue de 80 cm et légèrement courbée, sera plantée à 45° dans le cœur du taureau. Le record de ces tentatives serait de 39 essais sur le même taureau. Si les grandes artères sont atteintes, le taureau agonisera alors en vomissant d’énorme quantité de sang. Ce sera ensuite le coup de grâce qui sera donné, en utilisant un poignard de 10 cm planté au niveau de l’espace intervertébral. Le taureau sera paralysé et mourra par asphyxie, étouffé par son propre sang.
UNE SOUFFRANCE EXTRÊME
Pour se donner bonne conscience, de nombreux aficionados prétendent que la libération d'endorphines occasionnée par les mutilations diverses signifierait que le taureau ne souffre pas. Mais les différentes recherches effectuées par des neurologistes mondialement réputés, ont démontré que les endorphines libérées en état de stress n’ont pas de pouvoir analgésique (Harbach et al, 2007). Ils ont qualifié d’absurde l'idée selon laquelle les endorphines auraient un pouvoir analgésique, car les études récentes montrent au contraire que la production d'endorphines est l'indicateur de la souffrance endurée. D’autres études scientifiques réalisées par des personnalités reconnues du monde médical, notamment par un groupe de médecins vétérinaires de la très réputée Université Complutense de Madrid, ou le Centre hospitalier Paul Guiraud, à 94800 Villejuif, ont été menées pour tenter de déterminer la souffrance de l’animal. Le résultat de ces études est sans appel : « La décharge de grandes quantités de bêta endorphines détectées dans le sang du taureau après la corrida, sont la réponse normale d'un organisme soumis à une forte douleur et à un grand stress ; elles n’ont pour ainsi dire rien à voir avec la capacité des bêta-endorphines à neutraliser la douleur, c’est même tout le contraire».
CORRIDA ET FRANC-MAÇONNERIE
Si la Franc-maçonnerie apprend à aimer notre prochain, à le respecter, à fraterniser, elle engage aussi à s'opposer à tout acte de violence qui pourrait atteindre à l’intégrité physique ou morale d’un individu, d’un être dit sensible et donc de l’homme ou de l’animal. Pour les aficionados, les opposants à la corrida ne laisseraient parler que leur cœur ; ce serait de la sensiblerie. Un Franc-maçon doit parler avec son cœur, sinon, il devient étranger à toute notion de respect et d’amour.
La Franc-maçonnerie et la tauromachie, n’ont rien en commun, quoi qu’en prétendent certains. L’histoire, les rituels, le symbolisme, leurs visions respectives de la vie et de la mort, ne font que les lier dans le temps et dans l’espace de l’Humanité. Certains maçons y trouveront malgré tout quelques points communs avec la légende d’Hiram et le premier Tercio de la corrida qui est censé mettre en valeur la bravoure du « toro » qui se retrouve seul en piste et qui cherche à sortir de l’arène, à l’image d’un Hiram reconnu par la franc-maçonnerie comme son Maître fondateur, et qui veut sortir du Temple de Salomon pour éviter les agressions de trois ouvriers…On est bien loin de ces cultes ou mythes, face à la réalité que l’aficionado se refuse de voir. N’en déplaise à certains aficionados Francs-Maçons, la tauromachie est incompatible avec les principes d’humanisme pour la simple raison que la souffrance est toujours honteuse ou infâme lorsqu’elle est imposée.
Quant aux enfants qui sont invités par leurs parents à assister à ces spectacles de combat, ils sont incapables de faire la distinction entre le bien et le mal. Ils subissent inconsciemment l’influence de parents qui ont besoin de véhiculer un rite exutoire devenu plus important que la réalité, où la liesse côtoie la violence et l’exaltation.
L'homme n'est pas au-dessus de la nature. Le respect de la nature et de la vie est un principe sur lequel chacun doit méditer. Traiter les animaux inhumainement reflète toujours un manque de sens moral.
Pour Arthur Schopenhauer: « le respect des animaux par l'homme est inséparable du respect des hommes entre eux ». Emmanuel Kant, ne disait-il pas que : « Nous pouvons juger le cœur d’un homme par son comportement envers les animaux » (1724-1804)
La corrida est bien une réelle mise en scène dans laquelle l'homme tourne l'animal en dérision. Elle est le reflet de la violence et de la cruauté humaine à laquelle on associe gloire et apparat.