Dans le sang et la lumière.
Pas besoin d'organiser une Feria pour que des aficionados en tout genre se bousculent à l'entrée des arènes à Nîmes, Arles, Béziers ou dans d'autres villes de France. Il faut simplement avoir un formidable potentiel sadique pour payer son entrée dans une arène où le spectacle consiste à torturer un animal et le faire souffrir avec cruauté.
En fanfare, le spectacle peut commencer. L'acteur principal, lui, n'a aucune chance de s'en sortir. Son destin : agoniser dans la souffrance pour rapporter un maximum d'argent aux organisateurs de la corrida.
"La tauromachie est le plus scandaleux des arts, peut-être, mais un art indéniable", avait dit Marie Sara qui fut un temps la coqueluche des arènes françaises, et qui avait refusé de toréer, car les cornes du taureau qu'elle devait combattre n'étaient pas assez raccourcies.
Il y a deux mille ans, la tradition voulait que des êtres humains meurent dans l'arène. Aujourd'hui, cette tradition s'est éteinte. La tauromachie n'a pas l'apanage de la culture française et son autorisation remonte à peine au 19e siècle. Pour que le spectacle continue, l'homme a mis face à lui un combattant qu'il a élevé pour être vaincu, et pour donner une raison d'être à ces combats savamment orchestrés, il a transformé la corrida en tradition, sous le prétexte d'une complicité permanente, discrète, avec la mort, qui élèverait la tauromachie à la dimension d'un art. Un art que certains qualifient même de tragédie théâtrale.
La corrida est divisée en trois tiers ou tercios : le tercio de pique, le tercio de banderilles et le tercio de mise à mort.
Le premier réflexe du taureau lorsqu’il entre dans l’arène, c’est de tenter de fuir, par exemple en essayant de sauter au-dessus des barrières qui entourent l’arène. Ses cornes auront été préalablement raccourcies en utilisant la technique de l'afeitado pour qu'il perde la notion des distances. Les muscles de son cou auront été sectionnés par le picador pour l'empêcher de redresser la tête et donner l'impression qu'il veut charger. Les banderilles, véritables harpons munis d'un crochet anti-recul de 6 cm, seront plantées dans le dos du taureau pour lui faire perdre le plus de sang possible et l'affaiblir.
Les chevaux seront souvent blessés, et parfois même, horriblement éventrés.
La corrida est une réelle mise en scène dans laquelle l'homme tourne l'animal en dérision ; une véritable tragédie, il est vrai, car elle est le reflet de la violence et de la cruauté humaine à laquelle on associe gloire et apparat. Elle inflige de terribles souffrances et blessures aux taureaux pour le divertissement humain. C'est une tradition sanglante que certains considèrent comme un héritage culturel à préserver mais dont on ne peut masquer l'aspect cruel et inhumain. Pour donner l'impression de bravoure et de courage, le matador s'agenouillera devant un taureau mutilé, éreinté, sous les cris de spectateurs en délire. C’est à cette attitude asservissante du matador que le public applaudira, berné par l’apparence d’un prétendu courage qui n’est en vérité que de la lâcheté.
Les aficionados font fréquemment référence à l'art en citant Goya ou Picasso. Mais il faut retenir que ces œuvres sont une représentation artistique de l'homme face à la mort. Dans la corrida, il n'y a pas d'œuvre. Il s'agit d'une tragédie théâtrale délibérée qui doit rapporter le plus d'argent possible et qui vise surtout à travestir la douleur dans l’interminable supplice d'une agonie. Il n'y a pas d'art dans la mise à mort sacrificielle. Il n'y a pas d'art à imposer méthodiquement la souffrance jusqu'à ce que mort s'ensuive. Faire violence n'est pas un art. L'art de faire souffrir et de donner la mort, on ne le trouve que dans des actes aussi monstrueux que les tortures.
"Pardonnez-moi, je n'arrive pas à avoir honte, avouait Léa Vicens dans un sursaut de philosophie primitive. Ce qu'il faut faire, ajouta la toréra française née à Nîmes qui succéda à Marie Sara, c'est duper la bête, attirer son regard et la prendre à contrepied, esquiver sa puissance jusqu'au moment où on peut lui imposer un rythme, un "temple", une tranquillité dans le geste et danser avec elle, au plus près de son corps. Où est la barbarie là-dedans ? Nous, les toreros, à cheval ou à pied, nous sommes des sculpteurs éphémères qui transforment une charge brute en douceur, la peur en courage ». Léa Vicens se permettra même d’ajouter : "Ma responsabilité est de produire un spectacle de qualité pour remplir les arènes et amener plus de public au-delà de la sphère des passionnés".
La vérité est pourtant bien plus simple à résumer : le matador doit avant tout assurer la continuité du spectacle. Son succès et sa renommée garantissent la vente des places et donc les revenus des organisateurs de corridas. Nombreux sont les matadors qui demandent à examiner le taureau avant de le combattre. S'ils le jugent trop dangereux, ils choisiront volontiers un autre combattant.
La gloire du matador : achever un animal déjà paralysé par la souffrance.
C’est encore au matador qu’il reviendra l'honneur de mettre à mort un animal déjà vaincu. S’il est adroit, un seul coup d'épée longue de 80 cm et légèrement courbée, sera plantée à 45° dans le cœur du taureau. Le record de ces tentatives serait de 39 essais sur le même taureau. Si les grandes artères sont atteintes, il agonisera alors en vomissant d’énorme quantité de sang. Le coup de grâce qui sera donné à l’animal agonisant mais toujours conscient, utilisera un poignard de 10 cm planté au niveau de la nuque pour atteindre le bulbe rachidien. Il est fréquent que le matador soit contraint de triturer la blessure en profondeur afin d’atteindre les nerfs et provoquer la paralysie du taureau qui finira par mourir asphyxié par son propre sang.
La corrida exalte ce qu'il y a de pire en l'homme, de la violence à l'humiliation
Des études scientifiques réalisées par des personnalités reconnues du monde médical, notamment par un groupe de médecins vétérinaires de la très réputée Université Complutense de Madrid, ou le Centre hospitalier Paul Guiraud, à 94800 Villejuif, ont été menées pour tenter de déterminer la souffrance de l’animal. Le résultat de ces études est sans appel : « La décharge de grandes quantités de bêta endorphines détectées dans le sang du taureau après la corrida, sont la réponse normale d'un organisme soumis à une forte douleur et à un grand stress ; elles n’ont pour ainsi dire rien à voir avec la capacité des bêta-endorphines à neutraliser la douleur, c’est même tout le contraire ».
D'un herbivore pacifique, on fabrique un animal de combat.
Biologiquement, le taureau n'est pas un animal de combat. Il n'existe d'ailleurs aucun animal qui se batte pour le plaisir. Si on essaye de le priver de son espace vital ou si il se sent menacé, il peut avoir des réactions de défense, et finalement prendre la fuite. Les manadiers ne sont d'ailleurs jamais attaqués. Le taureau reste malgré tout habitué à voir l'homme lui donner à boire et à manger et ne s'attendra pas à en faire soudainement un ennemi. La cape rouge n'est qu'un leurre ; le taureau est d'ailleurs incapable de voir les couleurs et ne cherchera pas à agresser directement l'homme qui agite ce drap rouge appelé muleta qui ne sert qu'à attirer son attention et l'énerver. Il permet aussi au matador de simuler des passes (farol) exécutées suivant des mouvements artistiques choisis.
Les conséquences psychologiques de la corrida sur les spectateurs, en particulier les enfants, peut contribuer à désensibiliser les gens à la souffrance animale et nuire à leur empathie envers d'autres êtres vivants. De plus, les jeunes spectateurs peuvent développer une fausse perception de la bravoure et de la force masculine, car ces valeurs sont souvent associées à cette pratique.
Les opposants à la corrida sont de plus en plus nombreux car elle est le reflet de la violence et de la cruauté humaine. Mais la plupart des politiques ne voient pas d'urgence au refus de la souffrance animale et prétendent avant tout défendre une tradition au goût amer : celui du sang !
J'ai dit.